Aires Marines Gérées v/s Aires Marines Protégées Vers une autre vision de la gestion de l’environnement marin : « Le Rāhui » polynésien.

, par  HUSSENOT DESENONGES, Gérald

A l’occasion de la réunion du One Ocean Summit tenue à Brest les 9 et 10 février dernier, parmi tous les discours « engagés pour l’océan » sincères ou muni du faux nez d’une gouvernance mondialisée, reprenant en cœur les litanies ordinaires de la doxa environnementale contemporaine, celui du président de la Polynésie française Édouard Fritch jette un éclairage nouveau et frais, riche des valeurs de l’outre-mer.
Loin d’une vision holistique d’une « méta-gouvernance polycentrique » (sic !) des mers, préconisée par certains, exigeant une responsabilité « éthique » vis à vis de la mer, le « Rāhui » , puisque c’est ainsi qu’ancestralement les polynésiens désignent leur façon d’aborder les relations des hommes et de la mer et de ses ressources, apporte une vision nouvelle .

Nous empruntons la définition à Nathalie Ros qui dans un article très documenté précise que : « le Rāhui est un outil de gestion traditionnel qui correspond à une pratique ancestrale en Océanie… (le Rāhui) était un acte politique associant une dimension sacrée à l’affirmation d’un pouvoir de type communautaire... »  [1]
Le principe n’est donc pas nouveau, et son évocation à Brest, devant un parterre conquis à une tout autre vision de la gestion des choses de la mer, jette un éclairage iconoclaste sur des principes acquis d’avance et condamnant l’homme - donc le pêcheur- à disparaître à terme, pour laisser place à des gestionnaires avisés, n’ayant que peu de relations concrètes avec le milieu maritime et prônant un régime « AMP ++ ».
Il ne s’agit ni plus ni moins de promouvoir une gouvernance soutenable qui associe l’homme à l’océan, au travers des liens historiques qui les lient indissolublement. Cette approche est diamétralement opposée à la conception conservationniste d’un retour à une nature « vierge ».
Elle n’exclut bien évidemment pas une protection des espèces et des milieux, pour autant qu’ils participent à une gestion durable : économique, sociale et environnementale.

En Polynésie, les projets initiaux de grande aire marine protégée des Marquises de 720.000 km et celui de réserve de biosphère des Australes d’1 million de km² ont évolués sous l’active impulsion du gouvernement polynésien d’un projet d’AMP (Aire Marine Protégée) vers un projet d’AMG (Aire Marine Gérée), au grand dam des ONGE, pour une zone maritime de près de 5 millions de km² pour l’ensemble de la ZEE polynésienne, soit près de 43% de la ZEE française [2].

Qu’est-ce que l’Aire Maritime Gérée ? : Un « espace protégé géré principalement à des fins d’utilisation des ressources et des écosystèmes naturels » selon la Loi du Pays de 2017 relative au Code de l’Environnement de la Polynésie française ; un espace sans sanctuaires, sans zones sans pêche à priori. Intégré au droit polynésien en 2018, en tant que « espace protégé, au-delà de la mer territoriale jusqu’aux 200 milles marins », il emporte l’obligation de moyens d’une gestion durable. Il s’inscrit aussi comme outil de planification spatiale, et rempart contre le « colonialisme bleu ».

Quelle plus-value apporte-t-elle ? :
1) La conservation de la maîtrise de la gouvernance que les ONGE veulent accaparer -notamment dans les espaces ultramarins - conduisant en général in fine à des « AMP no take » soustraites au droit souverain de l’état côtier
2) La sécurisation de l’accès aux ressources halieutiques, minérales, énergétiques
3) Une position active face à la compensation écologique
4) Le maintien des activités humaines historiquement documentées et valablement reconnues
5) La reconnaissance explicite de l’unité de l’homme et de la nature : « L’aire marine gérée est construite sur le principe polynésien de l’appartenance de l’Homme à la nature et sur le lien étroit qu’entretiennent les peuples de la mer avec l’océan et l’environnement »  [3]
6) La reconnaissance des usages locaux et des activités traditionnelles comme partie intégrante du dispositif, l’affirmation de leur mise en valeur, la reconnaissance de leur prospérité
7) La reconnaissance des connaissances intuitives des acteurs de terrain en tant qu’interlocuteurs valables
8) La prise en compte des éléments socio-économiques
9) La préservation et la protection en lieu et place de la conservation

Et plus encore : l’AMG emporte l’instauration du principe d’une pêche durable minimisant l’impact environnemental, et vise au statut d’alternative aux AMP.

La transcription de ce changement de paradigme, qui paraît relever du bon sens, se heurte pourtant pour les eaux métropolitaines au mouvement général d’instauration de vastes AMP fondées sur les standards internationaux de protection haute ou intégrale de l’UICN (notamment pour les classements en catégorie I a), accompagnées d’analyses de « risque pêche », aux conséquences généralement à charge pour les pêcheurs.

Bien évidemment cette approche se heurte au nouvel outil des ZPF (Zone de Protection Forte) qui vise à ne plus dépasser les limites des capacités environnementales de notre planète, mais qui cependant laisse ouverte la question de l’exclusion des activités humaines et de l’irréversibilité des critères de durabilité un fois déterminés.

Néanmoins, l’établissement d’un classement ordinal des indices d’impacts des engins sur les habitats et sur les espèces et après analyse, la fixation d’un choix d’une hiérarchisation de l’intensité des impacts et des risques, la spatialisation nécessaire des activités de pêche en fonction des métiers et de la taille des navires, les régimes de réglementations démocratiquement admises, visées par des avis scientifiques eux-mêmes confrontés aux observations des pêcheurs, les fermetures temporaires de zones, les mises en jachères, les limites de captures, les définitions d’engins, le contrôle étroit des activités etc… tout ça, nous savons le faire …

Si le Rāhui apparaît clairement lié au concept d’AMG dans la culture polynésienne, qui peut sembler éloignée de notre propre conception des relations contemporaines entre l’homme et la nature, il n’en reste pas moins que cette approche doit nous amener à réfléchir.
La position centrale et stratégique de cette immense future AMG de la Polynésie dans l’océan Pacifique devrait nous inspirer.
Comme il « n’est pas concevable d’exclure définitivement le polynésien de son environnement marin » [4],il ne l’est pas plus d’exclure les pêcheurs de métropole. Puissent leurs activités perdurer « comme se suivent l’un l’autre en files continues les feuillages tressés qu’on lance à la dérive et qu’on ramène, à pleines brasses, chargés de poissons miroitant » [5] !

Gérald Hussenot Desenonges
Mars 2022

[1Nathalie ROS : L’aire marine gérée de Polynésie française. Une alternative à la privatisation des mers et des océans. Neptunus, e. revue, Université de Nantes, Vol 8, 2022/1

[2Nota : ZEE française =11 691 000km² ; Parc Marin de la Mer d’Iroise =3.550 km²

[3Arrêté portant approbation du plan de gestion de l’AMG , dans l’article op cité.

[4Journal Officiel de la Polynésie française 14 avril 2020, p.5577 article op cité.

[5Victor Ségalen. Les Immémoriaux

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