Des pêcheurs à pied responsables
Les telliniers de la baie de Douarnenez et de la baie d’Audierne sont des pêcheurs à pied professionnels qui exploitent un des plus importants gisements nationaux de tellines à l’aide d’une drague à main. Leur présence sur les plages sous-entend une bonne qualité de l’eau car la telline est un coquillage très sensible à cet élément. Elle n’est présente que sur des plages rassemblant des critères de qualité en termes d’oxygénation, de renouvellement.
Dans le Finistère, 26 personnes sont titulaires du timbre « tellines Finistère ». Ce « timbre » donne le droit à l’exploitation de la telline et est délivré par le Comité Régional des Pêches de Bretagne. Actuellement, le contingent est bloqué au renouvellement dans le but d’assurer la pérennité des entreprises et surtout, une exploitation durable du gisement. Il peut être révisé quand cela est jugé nécessaire. Les décisions sont prises avec avis des scientifiques et d’après des évaluations et des suivis des stocks de coquillages exploités. Quand cela est possible, l’installation de nouveaux entrants est envisagée, en remplacement de pêcheurs qui cessent l’activité.
Les telliniers sont des pêcheurs artisans pratiquant une pêche très sélective. La sélectivité est assurée par la précision de l’écartement entre les barres des grilles qui constituent les dragues et qui assurent un tri précis de la taille des tellines. Pour parfaire cette sélectivité, les telliniers font un deuxième tri pour être certains que les individus retenus fassent la taille minimale de 2,5 cm. Cette taille, règlementaire au niveau européen, assure le renouvellement du gisement, la telline s’étant reproduite au moins une fois.
Les telliniers sont des sentinelles de l’environnement présents sur l’estran pendant de longs moments. Ils savent le lire et alerter dans le cas de dysfonctionnements. Ils sont très sensibles au moindre changement. Ils sont les premiers à constater des pollutions ou des dérèglements et sont des donneurs d’alerte.
La pêche de la telline est durable et en harmonie avec l’environnement du fait de la gestion de la pêcherie et de la ressource mais aussi de sa faible empreinte carbone. En effet, l’effort de pêche est pratiqué de façon manuelle, pendant de longues heures, à la force des jambes et du dos des hommes et des femmes qui la pratiquent.
La pratique est en harmonie avec l’écosystème de la baie. Ceci se voit notamment lorsque les oiseaux de l’estran viennent profiter de la présence des telliniers pour se nourrir derrière leurs dragues.
Une ressource fragile et menacée
Les pêcheurs ont observé que les trois années qui ont précédé l’effondrement du stock étaient spectaculaires et totalement inhabituelles. Certains expliquent ce phénomène par diverses pollutions et manque de recrutement. En 2010 le stock s’est effondré d’une façon surprenante en l’espace d’un mois.
Les pêcheurs se souviennent des montagnes de coquillages morts et le dérangement des émanations de gaz dus à la putréfaction. Les campagnes Ifremer de 2010 et 2011 ont fait état d’épisodes importants de mortalités. La visite du gisement de juin 2012 offre un diagnostic plus favorable en termes de rendement et de distribution de taille qui sera confirmé par l’analyse de 2013. Les conclusions mentionnent « un redressement sensible de l’état de la ressource en tellines, notamment par la présence de pré-recrues (animaux âgés de deux hivers) sur l’ensemble du site ». Depuis 2015 la production s’améliore d’année en année pour atteindre 40 tonnes en 2017. L’année 2018 sera beaucoup moins bonne avec 22,481 tonnes. Cependant, il est important, de corréler ces résultats avec le nombre de professionnels qui a diminué (31 en 2017 et 27 en 2018) et de nombreux jours de fermetures sanitaires en 2018 (le début d’année a été très mauvais. Juillet et septembre également). Depuis 2018, le nombre de pêcheurs est stable et le stock se porte mieux. Il faut tout de même rester vigilant. Des variations existent toujours. Par exemple, la différence constatée de production entre 2021 (138,979 tonnes) et 2022 (97,677 tonnes). Il est à noter que, même si le quota journalier est de 80 kg, celui-ci est très rarement atteint puisque le poids moyen pêché lors d’une marée est aux alentours de 48 kg.
Une cogestion de la ressource
La pêche à la telline est une activité relativement récente dans le Finistère. Elle remonte au début des années 1980. A cette époque, aucun encadrement réglementaire n’existait alors que l’engouement pour cette pêche lucrative était fort. Les professionnels travailleront dès 1990 à une meilleure gestion et des mesures règlementaires seront rapidement adoptées par les pêcheurs eux-mêmes. Les pêcheurs à pied sont intégrés aux comités des pêches, les limites du gisement en baie d’Audierne sont fixées, l’exercice de la pêche à pied se professionnalise.
En juin 2011, le Comité Régional des Pêches de Bretagne a mis en œuvre l’harmonisation de la gestion des gisements de tellines finistériens. Cette harmonisation a eu pour effet de fusionner les autorisations de pêche à pied de tellines sur les trois gisements finistériens (Blanc Sablon, Audierne et Douarnenez). Il a été créé un bureau des gisements de tellines finistérien composé d’un représentant du CRPMEM, de la Direction de la Mer et du Littoral 29, du Parc Naturel Marin d’Iroise, de l’IFREMER. Le comité des pêches du Finistère y nomme jusqu’à 5 représentants professionnels.
La pêche à la telline est emblématique pour le territoire et véhicule une image d’une pêche durable en accord avec l’environnement exceptionnel dans lequel elle s’exerce. Cette activité fait vivre localement plus de 20 familles de pêcheurs et alimente les mareyeurs localement et les entreprises spécialisées de transport.
Il est à noter que la pêche à pied professionnelle compte parmi ses actifs plus de 20% de femmes ce qui est important pour ce secteur, qui doit également renforcer son attractivité pour permettre le renouvellement des générations.
Il est important d’insister sur le fait que malgré la bonne gestion, la population de tellines est fragile et sensible aux variables environnementales et anthropiques et qu’elle n’est pas assez valorisée et mise en évidence. Elle méritera beaucoup plus de suivi et de moyens dans ce sens, en accord avec la profession qui connait parfaitement les gisements et le cycle de ce précieux coquillage. Les causes qui impactent le cycle de ces coquillages peuvent être environnementales (intempéries, températures de l’eau...), bien entendu, mais il est important de rappeler que la qualité de l’eau reste le principal atout pour un stock en bonne santé et que la moindre pollution ou le moindre événement sur les plages peut impacter la population de façon très importante.
Virginie Lagarde
Françoise Lesecq