Pierre Mollo : passion plancton

, par  LE SANN Alain

Comment un jeune ouvrier ajusteur en région parisienne, petit-fils de pêcheur gavrais, est-il devenu l’un des premiers scientifiques lanceur d’alerte sur la dégradation du plancton ?
Un récit de son parcours , basé sur les témoignages de rencontres marquantes extrêmement diverses permet de répondre à la question.

De la Bretagne au Japon, le précurseur

Après son service militaire dans la Marine, Pierre Mollo renoue avec la Bretagne et se trouve mêlé à des projets d’aquaculture industrielle. Il y renonce rapidement et se retrouve au Japon avec des scientifiques et des ostréiculteurs qui lui font découvrir avec émerveillement le monde du plancton et toute sa beauté ainsi que son rôle majeur dans la vie, sur terre et sur mer. Là naît sa passion pour le plancton et il va ainsi développer son approche scientifique.

Pédagogue globetrotter

Mais Pierre Mollo n’est pas homme à s’enfermer dans les laboratoires ; sa passion il veut la partager et il sait le faire ; pédagogue hors pair, il s’engage auprès des pêcheurs (en particulier sur l’île de Houat), des ostréiculteurs, des paludiers, des paysans. Partout où il passe, il laisse des traces indélébiles auprès de ceux qu’il a fréquentés et formés. Il fait évoluer les référentiels et les pratiques de formation. Il n’est pas toujours compris par la hiérarchie qu’il bouscule. Il crée des outils de sensibilisation du grand public, comme l’observatoire du plancton de Port Louis, qui se retrouvent aujourd’hui un peu partout dans le monde. En effet son activité débordante l’amène en Chine, au Vietnam, au Tchad, au Bénin, au Chili, chez les Amérindiens du Québec, en Antarctique, en Ukraine, en Italie avec Slowfood… Partout il transmet sa passion du plancton.

Tisseur de liens

Il ne se contente pas de faire découvrir le plancton, il contribue à créer des structures qui permettent de créer des liens entre diverses professions liées à la mer et à la terre. Ainsi nait l’association CAP 2000 qui rassemble agriculteurs, pêcheurs et ostréiculteurs sur la Ria d’Etel pour travailler à la protection de la qualité des eaux sur la base de relations constructives entre paysans, ostréiculteurs et pêcheurs. Il fait comprendre que la qualité des eaux et du plancton dépend étroitement des apports terrestres et de la qualité de la végétation terrestre. Avec son petit texte, « pourquoi les sardines raffolent des châtaignes » [1] qui ouvre le livre, il fait comprendre simplement l’importance vitale des liens terre-mer.

Lanceur d’alerte

Pierre Mollo a été l’un des premiers à observer les modifications du plancton, en particulier la prolifération des dinoflagellés et la diminution des diatomées, en quantité et aussi en taille. Ces changements ont des conséquences sur la disparition des coquillages, le développement de maladies ; il en découle des interdictions de ventes d’huîtres, de moules, de coquilles Saint jacques, etc. Cela explique aussi la dégradation des ressources de poissons [2] : la taille des sardines diminue, comme celle du plancton. Des poissons comme la sole ont des difficultés à se reproduire puisque les larves et les alevins ne trouvent pas le plancton adapté à leur croissance. Le développement des planctons toxiques en vient même à affecter la santé humaine. Ses alertes ont permis de lancer des programmes scientifiques d’envergure. Aujourd’hui, si certains scientifiques continuent de le contester, d’autres viennent conforter et confirmer ses analyses comme Grégory Beaugrand, chercheur au CNRS qui travaille sur l’évolution de la mer du Nord : « depuis la fin des années 2000 l’environnement est devenu très défavorable et les effets climatiques (64%) sont devant les effets de la pêche(36%) [3] » dans l’explication de la diminution des stocks. Depuis la fin des années 80, en mer du Nord, la cause majeure de la dégradation des ressources halieutiques n’est plus la surpêche mais la dégradation du plancton. Cette analyse va à l’encontre du discours de nombreux scientifiques et surtout des ONGE qui continuent de proclamer que la pêche est l’activité la plus grande destructrice des océans.

Transmettre par l’émotion et l’art

Si le discours de Pierre Mollo est aussi convaincant ce n’est pas seulement du fait de sa rigueur scientifique, c’est aussi parce qu’il ne conçoit pas la pédagogie et la transmission sans l’émotion et l’art. Depuis longtemps, il réalise des films qui révèlent la beauté des paysages marins, du travail des hommes sur les littoraux et en mer. Il fait s’extasier les spectateurs devant la beauté des images de plancton et, plus récemment, il a pu sublimer cette beauté de la nature par la musique avec la complicité du musicien franco-brésilien Antonio Santana. Mais il sensibilise aussi les jeunes enfants en les invitant à danser, à dessiner.

Grâce à la diversité de ses approches, Pierre Mollo bouleverse notre vision des océans et de la vie. Cela est indispensable si l’on veut mieux protéger l’océan et ses ressources. Pierre Mollo n’accepte pas que l’on accuse d’abord les pêcheurs de la dégradation des océans. Pour lui, c’est une façon de dédouaner les pratiques destructrices sur terre qui jouent un rôle majeur dans la dégradation du plancton et du climat. Tant que nous n’aurons pas intégré ce renversement de notre analyse de la dégradation de l’océan, les solutions à la crise de la nature resteront inadaptées [4]. Pour trouver des solutions adéquates, il faut d’abord un bon diagnostic et le faire partager. Pierre Mollo a été un précurseur dans cette approche. Nous lui en sommes grandement redevables. Qu’il puisse continuer longtemps à nous enchanter.

Alain Le Sann
Décembre 2023

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