Rencontres entre gens de mer, du cinéma et le public
La richesse des rencontres entre des univers différents (pêcheurs, armateurs, scientifiques, réalisateurs) a suscité un vif intérêt. La parole a été donnée à ceux et celles qui connaissent intimement la mer. La thématique « Terre-mer : quels futurs ? » a montré combien la qualité des eaux marines dépendaient de celle des fleuves et des pollutions terriennes ! Grace à la sélection de 41 films de 21 nationalités différentes, les spectateurs ont pu voir, écouter, partager…des moments de vie, les craintes et les espoirs des peuples de la mer. Les débats ont mis en valeur la place des gens de mer dans l’économie des littoraux. Le palmarès en témoigne.
Les prix des jurés et du public
Les deux jurys, l’un composé de professionnels de la pêche et du cinéma, l’autre de jeunes, ont attribué les récompenses à deux longs-métrages et cinq courts-métrages de sept pays différents.
Le documentaire Bruma de José Balado Diaz (Pérou), est « un très bel éloge de la pêche au nord du Pérou » selon les deux jurys qui lui ont décerné le prix de la catégorie longs métrages. Le cycle de la pêche vivrière est décrit avec trois tableaux particulièrement marquants : la solitude des pêcheurs dans l’attente en pleine mer, le débarquement dans la foule sur la plage, le filetage du poisson par les femmes et le séchage. A côté du pillage des anchois accaparés par le marché mondial de la farine pour l’aquaculture industrielle, ignoré par le film, le Pérou connait une économie nourricière du poisson pour la population.
Une mention spéciale a été accordée par les deux jurys à Austral , de Benjamin Colaux (Belgique) : les communautés de pêcheurs du Cap Horn font part de leur expérience de vie. Depuis des siècles ils luttent contre des éléments naturels très durs et la mort est souvent au rendez-vous. Leur énergie vitale a été comme captée par le réalisateur qui nous fait partager sa fascination.
Le prix des courts-métrages est allé à The Bayview de Daniel Cook (Écosse) : une vieille dame accueille dans sa maison les pêcheurs venus du monde entier qui attendent un embarquement ou travaillent au large de l’Ecosse, africains, philippins, etc…une vraie leçon d’hospitalité.
Les jurys jeunes et le public ont choisi Stolen fish de Gosia Juszczak (Royaume-Uni/Espagne/Pologne). Il traite du pillage des produits de la pêche en Gambie, détournés pour fournir de la farine de poisson à l’aquaculture industrielle en Chine et en Europe. Un vrai accaparement de la nourriture des pays du Sud qui provoque misère et migration. Faute d’avenir, que reste-t-il comme option pour les jeunes sinon de partir ? Evidemment ce film a fait écho à Poisson d’or, poisson africain de Thomas Grand et Moussa Diop découvert par le Festival en 2018 et depuis récompensé par près d’une centaine de premiers prix dans des festivals du monde entier.
Une mention spéciale du jury des jeunes est allée à Sénégal Mbour les grandes pirogues de Christian Lajoumard (Sénégal). Ce film décrit le ballet des grandes pirogues, des petits pélagiques avec leurs sennes.
La question du rôle de la mer pour l’alimentation est posée et est au centre d’enjeux internationaux et financiers. La guerre du poisson, bataille dans les eaux européennes de Philippe Lespinasse a reçu le prix des collégiens. Il pose précisément la question de la finalité de la pêche, dans le contexte de la politique commune des pêches en Europe : doit-elle nourrir les humains ou les élevages industriels ? Les pêcheurs vont-ils continuer à nourrir directement les hommes ou seront-ils des exécutants dominés par les industries agro-alimentaires ? Pour continuer à disposer de droits de pêche à la morue en Norvège, l’Union Européenne accorde des centaines de milliers de tonnes de poissons pélagiques pour alimenter les élevages de saumon en Norvège.
La guerre du poisson, bataille dans les eaux européennes est visible gratuitement pendant quelques semaines sur la plateforme « KUB », échos du festival avec deux autres films de la sélection officielle, Dremmwel de Pierre Vanneste et Le bateau de mon père de Cyril Bérard. Des spectateurs du monde entier peuvent ainsi y accéder.
Pas de pêche sans les femmes
Un prix spécial est réservé pour mettre en évidence le rôle des femmes dans l’économie de la pêche. Le prix Chandrika Sharma, créé pour rendre hommage à la secrétaire d’ICSF, disparue en 2014, a été attribué au court métrage Visages invisibles, voix inaudibles : les femmes et l’aquaculture , de Kiran Mittal. Ce film produit par ICSF, analyse avec finesse et précision l’évolution du rôle des femmes dans l’aquaculture avec le développement de la crevetticulture. S’il y a des conséquences positives pour elles, toutes n’en bénéficient pas de la même façon et les effets environnementaux sont inquiétants. Il a été projeté lors d’une séance spéciale avec le film canadien Femmes capitaines de Phil Comeau. D’autres films comme Rio de voces donnaient aussi une large place à la voix des femmes. Enfin, deux longs métrages de fiction Grand marin de Dinara Drukarova et le film culte italien Stromboli de Roberto Rossellini (1950) ont puissamment évoqué la vie de femmes au milieu de pêcheurs.
Un évènement tourné vers les jeunes
Le Festival a organisé un Forum des jeunes qui a posé les bases pour une nouvelle approche des métiers de la pêche. Partout les jeunes sont moins nombreux dans les formations des métiers de la pêche : comment les y intéresser ? Il s’agissait avant tout de libérer la parole des jeunes sur le thème « Pêcheurs mon métier, oui mais … ». Chacun a pu prendre conscience du fait que ces professions changent et s’adaptent comme le montre le film The long coast d’Ian Cheney, consacré à de beaux portraits de pêcheurs et aquaculteurs (hommes et femmes) du Maine aux Etats-Unis. En petits groupes les jeunes lycéens en formation ont pu témoigner de leurs interrogations et de leurs souhaits pour l’avenir de la pêche face à des pêcheurs actifs ou retraités et des représentants de comités des pêches. Au final cette rencontre a contribué à une vraie convergence entre jeunes et professionnels de la mer, l’expérience sera reconduite.
Avec la même logique, une séance spéciale du cycle Pêcher demain a abordé les défis pour les navires du futur : comment adapter ceux-ci aux exigences énergétiques, au besoin de sécurité, au respect de la biodiversité. Pêcheurs, chercheurs et industriels ont témoigné de la vitalité des recherches engagées pour pêcher avec un moindre impact sur les milieux et un respect de la biodiversité.
Par ailleurs des nombreuses projections ont lieu dans les écoles, les collèges, les lycées. Des étudiants ont pu visiter les équipements portuaires.
Des hommages et l’image du pêcheur !
Le festival a rendu hommage au réalisateur lorientais Emmanuel Audrain, ami du Festival qui a fait des portraits de pêcheurs, sensibles et émouvants. Des extraits de films ont mis en évidence les valeurs humaines de ces personnages. Dès 2006 il transmettait le message de scientifiques qui alertait sur la disparition de la ressource.
Une exposition Le peintre, le poète, la mer et un film, Le chant des mers de Christophe Rey ont rappelé le destin et le message laissé par Alain Jégou, marin pêcheur, poète, écrivain reconnu…et pierre fondatrice du Festival !
Le film Des sauveteurs et des hommes de Thierry Durand a été projeté dans la ville de Lanester en présence de nombreux volontaires : émouvant et exemplaire ! La projection du film Le bateau de mon père de Cyril Bérard a été l’occasion d’évoquer les problèmes des pêcheurs du Nord de la France confrontés à la fois au Brexit et à la concurrence de la pêche étrangère qui ont mené le père du jeune pêcheur au suicide.
Toute cette démarche traduit la fonction culturelle du Festival. Il faut ajouter le travail du réalisateur Alain Pichon qui a avec talent réalisé un film synthèse sur l’histoire des Conserveries en Bretagne à partir de films anciens regroupés par la Cinémathèque de Bretagne : Les conserveries, de l’atelier à l’usine 1930-1960. Cette activité née en Bretagne a mobilisé des centaines de femmes.
Des pistes pour l’avenir
Le Festival plaide pour la création d’un pôle culturel maritime à Lorient et ailleurs sur les côtes ! Le dialogue doit être continu, pas simplement le temps d’un festival, avec tous les acteurs du territoire. Il s’agit de valoriser des savoir-faire, des dynamiques, des valeurs humaines aussi des travailleurs de la mer !
L’ouverture sur le monde est le point fort du Festival qui n’a pas cessé d’affirmer le rôle essentiel des pêcheurs pour alimenter les populations notamment du Sud. En s’adressant au grand public il a contribué à mieux faire connaître la place des pêcheurs pour assurer la sécurité alimentaire, l’urgence à assurer plus de justice dans les échanges, la nécessité de veiller à la sauvegarde du milieu maritime en associant directement les peuples maritimes qui en vivent. La question de la gestion démocratique de l’espace maritime et des enjeux halieutiques reste encore à approfondir.
L’accent a été mis contre les campagnes qui accusent les pêcheurs d’être les destructeurs du milieu maritime et d’entrainer ainsi leur propre perte. Au contraire il est temps de distinguer les espaces maritimes qui font l’objet d’une gestion raisonnée en lien avec les scientifiques de celles qui sont la proie des pilleurs de la ressource, notamment en Afrique et Amérique latine, faute de moyen de contrôle et de police de la mer.
En mettant en avant le thème « Terre et mer, quels futurs ? » le Festival a rappelé que les causes qui menacent les océans sont essentiellement dues aux pollutions terrestres qui accentuent le réchauffement climatique avec ses effets sur l’acidification et l’augmentation de la température des mers ! Il est donc vital et prioritaire de remédier sur terre à toutes les nuisances chimiques, plastiques et déchets…qui aboutissent dans les océans ! Story of Adyar-River, pollution and Floods in India de Siddharth Muralidharan montre la mauvaise gestion des eaux usées qui détruit l’écosystème. Agir pour la biodiversité : les sentinelles de la Méditerranée de Felix Vigné propose des pistes. Il est temps d’affirmer que l’avenir du vivant marin et la gestion raisonnée pour l’alimentation des ressources halieutiques par les pêcheurs vont de pair !
« Pour changer la réalité, il faut la connaitre et pouvoir imaginer un autre monde », c’est précisément la vocation du cinéma et de notre Festival, alors cinéastes de tous pays continuez de nous faire connaître vos films pour que vivent les gens de mer de l’Armor et des littoraux du monde !
Jacques Chérel , Président du Festival
Contact : Karen Laroche coordinatrice Tél : 33 07 82 89 36 74 festivalpecheursdumonde@gmail.com www.pecheursdumonde.org